Dans les métiers d’art, les plus belles alchimies sont souvent le fruit de rencontres entre êtres exceptionnels, exigeants et passionnés. Le livre d’art ‘Mediterraneum’ en est l’incarnation.

 

Edouard Elias est un jeune photo-journaliste prodige. A 26 ans, il a déjà posé son regard singulier sur la Syrie, l’Ukraine, la Birmanie ou la République Démocratique du Congo. En 2016, il a passé trois semaines sur le navire Aquarius, affrété par l’association SOS Méditerranée pour venir en aide aux migrants dans le Canal de Sicile, à photographier les réfugiés pour raconter leur enfer et graver leurs histoires à jamais.

 

Artiste également précoce et engagée, Fanny Boucher a fondé à 24 ans Hélio’g, le seul atelier professionnel en France spécialisé dans l’héliogravure. Ce procédé de reproduction photographique mis au point en 1879, est si rare que seuls dix ateliers dans le monde perpétuent encore ce savoir-faire d’exception. Maître d’Art depuis 2015 et membre des Grands Ateliers de France, Fanny Boucher collabore aujourd’hui avec les plus grands photographes et artistes contemporains, de Gérard Garouste à Yayoi Kusama, en passant par Willy Ronis, Zao Wouki, Yuri Kuper ou Bernard Venet.

 

L’héliogravure permet le transfert, avec un rendu unique, d’une image sur une plaque de cuivre par l’intermédiaire d’une gélatine photosensible. Marquée par la morsure de l’acide, la matrice de cuivre est couverte d’une épaisse couche d’encre naturelle que le graveur vient caresser d’un geste habile pour ne laisser que la matière nécessaire à la reproduction de l’image sur le papier chiffon Hahnemühle, lors du passage dans la presse taille-douce.

 

C’est l’imprimeur d’art Stéphane Guilbaud qui a fait le trait d’union entre les deux artistes : « Lorsqu’Edouard Elias m’a a montré ses photos noir et blanc, j’ai tout de suite fait le rapprochement avec le travail de Fanny Boucher », sourit-il. En effet, « dans la presse, note Edouard Elias, ça dure une semaine, un mois, et puis ça disparait. Il en est de même pour les expositions de photos, car les tirages – imprimés au jet d’encre – disparaissent aussi. Le procédé d’héliogravure, est idéal pour faire durer les images. Grâce au procédé technique de Fanny, j’ai pu rendre mon travail pérenne, intemporel. »

 

Ensemble ils ont eu l’idée de collaborer à la création d’un livre d’art pour préserver à jamais le témoignage des « boat-people de la Méditerranée ». Les photos noir et blanc d’Edouard Elias, ont été prises en deux formats, qui permettent d’alterner les rythmes : un format numérique, plus dynamique, et un format panoramique, qui pose le regard et inclut le sujet dans son environnement, c’est à dire la mer, personnage essentiel de ce récit tragique et bouleversant.

 

Pendant huit mois, « très émouvants », Fanny Boucher s’est documentée sur les migrants, s’est imprégnée de leurs histoires, et discuté avec Edouard Elias « pour savoir ce qu’il attendait [d’elle] ». « Comme dans la calligraphie, quand tu graves l’image, ton état émotionnel joue un rôle, c’est une continuation, du corps à la matrice. Je prête mes mains à l’artiste, mais la tête reste celle de l’artiste et je dois comprendre ce qu’il veut », confie-t-elle.

 

Tiré à 25 exemplaires numérotés, le livre est présenté dans un coffret bordeaux, seule touche de couleur, évocatrice des gilets de sauvetage tristement emblématiques de l’épopée des migrants dans le canal de Sicile. Les photos d’Edouard Elias sont héliogravées sur papier Hahnemühle pur chiffon au PH neutre, encres et pigments naturels, et les textes imprimés sur papier 300g par Stéphane Guilbaud.

 

Il est préfacé d’un poème de l’écrivain Erri de Luca, écrit au lendemain d’un naufrage qui avait fait 800 morts en 2015 :

 

Notre mer qui n’est pas aux cieux
et qui de ton sel embrasses
les limites de ton île et du monde,
que ton sel soit béni
que ton fond soit béni
accueille les embarcations bondées
sans route sur tes vagues…

 

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Vingt pour cent des bénéfices du livre sont reversés à l’association SOS Méditerranée.

 

Retrouvez Fanny Boucher et Edouard Elias au Salon Livres Rares et Objets d’Art du 13 au 15 avril au Grand Palais à Paris, avec une conférence le samedi 14.

 

Contacts :

Fanny Boucher

Edouard Elias

 

 

KRONIK

Kronik est une édition de l’atelier Hélio’g, née au lendemain des attaques de Charlie Hebdo en janvier 2015, avec l’idée de « faire sa part avec les moyens qu’on a », explique Fanny Boucher. Concrètement cela signifie aller dans la rue, à la rencontre des gens avec une presse portative. « Le tablier, les mains pleines d’encre, ça facilite les rapports, notamment avec les jeunes. On discute sur une image qu’ils aident à imprimer, ils repartent avec une héliogravure – une photo, une caricature… » Ce projet entièrement bénévole, a comme seul objectif la démocratisation des idées, l’échange, aller à la rencontre des gens où ils sont, dans la rue, dans les écoles et universités, dans les prisons. Cette année le thème principal était les migrants.